samedi 1 novembre 2008

La position du tireur couché, de Jean-Patrice Manchette




Gallimard, Série Noire, 1981, 183 p.

Je n'étais pas sans ignorer l'importance de Manchette dans l'histoire du roman noir français, mais de là à l'avoir lu, il y avait un pas, que j'ai franchi cette semaine avec stress et passion, ce qu'était loin de me procurer la lecture de Winterkill, de C.J. Box, que j'ai interrompue et punie, pour cause de manque flagrant de personnalité.

Manchette est considéré comme le père (le pape?) du néo-polar (non, on ne se lancera pas dans des définitions bidon de styles). Il a été dialoguiste pour le cinéma, critique de littérature policière en plus, je le crois bien, d'avoir été l'un des auteurs très influents de la série noire. Reconnu pour ses prises de position politiques, La Position… fait trève de propagande pour offrir un récit noir pratiquement parfait qui prend autant racine dans la pure tradition que dans la modernité (ce roman est le chant du cygne – je déteste cette expression – de Manchette, après quoi il s'enferme, atteint d'une grave forme d'agoraphobie, et meurt d'un cancer du poumon en 1995).

Le protagoniste est purement Hardboiled, quoique réservé. Martin Terrier, qui se fait appeler Christian par ses employeurs, a été recruté par un certain Stanley lors de son passage dans l'armée. Son sang froid et ses réflexes lors d'une attaque surprise ont fait de lui le candidat parfait pour la Compagnie. Et voilà Terrier, des années plus tard et une douzaine de meurtres à contrat à son CV, qui décide d'accrocher son revolver et de (tenter de) mener une vie normale. Même si on lui propose un dernier contrat, et au gros prix, Terrier refuse et croit tenir le gros bout du bâton. Mais ne décroche pas qui veut, surtout lorsque l'engrenage est parti.

Ainsi, les embûches empêtreront son lent chemin vers la retraite, à commencer par Anne Freux, celle qui, dix ans plus tôt, avait convenu avec lui de l'attendre dix ans pour mieux consumer leur amour. Terrier était peut-être le seul à s'en rappeler, car la belle Anne, maintenant alcoolique, s'est mariée à Félix, qui faisait aussi partie du groupe dix ans plus tôt. Cela n'est pas pour empêcher Terrier de mener à bien son plan et de manifester son désir d'emporter Anne avec lui. Malheureusement, cette histoire ne sera pas réglée qu'à grands coups de paroles.

Puis se multiplie sur son passage les meurtres de proches, les saccages d'appartement et les filatures. La Compagnie prend tous les moyens pour le faire revenir. Mais s'agit-il seulement de la Compagnie?

Terrier est un personnage dur et, comme je l'ai dit, réservé. On apprend sur lui au compte-goutte, et la soudaine aphasie qui le frappe à mi-parcours le rend encore plus interdit. La narration à la troisième personne rend parfaitement la retenue du personnage en étant avare de renseignements et en les divulgant de façon parcimonieuse et stratégique.

Étrangement, malgré l'épuration et la froideur de l'écriture, les descriptions sont plutôt fréquentes. La plupart des pièces et personnages sont dépeints avec minutie et force détails. Heureusement, on reste malgré tout dans la brièveté, et bien souvent, ces descriptions se terminent avec un certain punch qui sert l'histoire.

La Position du Tireur Couché est un roman noir prenant et haletant, et son écriture sèche cache bien un surprenant souci de détail et de minutie. Un roman presque parfait, donc, avec une finale un peu tirée par les cheveux, mais somme toute magnifique.

(Originalement publié le 13 février 2008)

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