samedi 1 novembre 2008

La belle de Fontenay, de Jean-Bernard Pouy




Gallimard, Série Noire, 1992, 236 p.

Pour les ignorants, dont je fais partie, La Belle de Fontenay, c'est une variété de patates, que l'on connaît aussi sous le nom de Hénaut. Verte, délicieuse, très ferme à la vapeur, se récolte à partir de juin. Mais cependant très fragile, nécessite du boulot. Voyez, l'ignorance est déjà chose du passé.

La raison de cette introduction potagère, c'est la passion de Enric Jovillard, le narrateur de ce livre. Enric a la soixantaine, célibataire, pas d'enfants, et jardinier compréhensif, sensible et attentionné. Fils de révolutionnaires espagnols, il a été naturalisé français durant sa jeunesse et a retenu de ses parents en prônant l'anarchie. Pas l'anarchie des punks bidon, la vraie anarchie, l'anarchie pour La Cause, celle qui était prête à tuer, en 68. Jovillard a mangé sa part de coups sur la gueule, a toujours servi la contrepartie à ces coups, a fait de la prison, a appris à se battre, à manier les armes. Et une balle qui lui effleura la tête l'a laissé sourd-muet, maintenant étranger au monde des « zorros » (oraux) et de la musique. Il n'a jamais appris le langage des signes et ne communique, uniquement lorsque c'est nécessaire, que par petits papiers, des mots griffonnés dans un carnet, sur un papier qui traînait là, ou encore sur la nappe du restaurant, qui finit inévitablement noircie de pattes de mouche. Et Enric ne supporte pas les fautes d'orthographe.

Ainsi, lorsqu'un après-midi, alors qu'il a les mains plantées dans la terre, la police débarque au jardin, sans tenir compte des radis qu'elle écrase et des salades qu'elle botte, immobilise brutalement Enric et va renverser un gros bidon d'eau dans lequel on retrouve le corps d'une jeune fille de dix-sept ans, pas de doute que Jovillard est le premier suspect. Cette fille, il la connaît très bien. Laura, qui venait passer des après-midi au jardin, à prendre du soleil, avant de partir en déposant un baiser sur son front. Laura, avec qui il échangeait des livres pour ensuite en discuter. Une relation simple et saine où aucun ne demandait plus que ce qui lui était donné.

Enric est emmené au poste brutalement, le sort qu'on réserve aux pépés mateurs de belles jeunesses. L'interrogatoire qui s'ensuit est un morceau d'anthologie. Jovillard est cinglant, baveux, uniquement par écrit. Et sans fautes. Les policiers, habitués à leurs man--uvres d'intimidation verbale, sont déstabilisés. Et ça donne le ton au reste du roman. Jovillard va mener son enquête muette dans l'entourage de Laura et par le fait même brasser le fond de l'étang pour faire remonter la merde à la surface. Et il va encore manger sa ration de coups, tant de la part des polices que de mystérieux agresseurs masqués. Les pauvres, ils pensaient s'attaquer à un vieux sourdingue. Fallait pas le fâcher.

Enquête non conventionnelle menée par un personnage des plus attachants, La Belle de Fontenay est mon premmier roman de Pouy, un incontournable de roman noir français. Y'a pas à dire, ça vaut la peine de s'y mettre.

(Originalement publié le 27 février 2008)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je suis d'accord avec vous; c'est un des livres les plus sensibles de Pouy. 20 ans après sa lecture, j'ai encore des images en tête. Un livre à faire connaitre...

D.F.